Note : cet article reprend une petite partie d’un travail réalisé à l’automne 2018 dans le cadre d’un cours d’Interprétation de l’Ancien Testament dans le Nouveau Testament, à la Faculté de Théologie Évangélique (à Montréal) affiliée à l’Université Acadia. Selon la formule habituelle, nous sommes évidemment responsables des erreurs ou omissions qui pourraient subsister dans ce texte.
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La première apparition en tant que telle de Jésus ressuscité que Luc relate[1] dans son Évangile de Jésus, a lieu le même dimanche de Pâque(s), alors que celui-ci apparait à deux disciples (Cléopas et une autre personne dont le nom n’est pas rapporté) qui sont en chemin vers le village d’Emmaüs. Alors que ces deux disciples discutent des événements tout en marchant, Jésus les rejoint et les accompagna, mais sans que ceux-ci ne le reconnussent au départ (Luc 24.13-16). Cet événement relaté par Luc est fort intéressant, car il semble bien nous révéler une clé pour l’interprétation des Écritures. Lorsque Jésus les rejoint pour marcher avec eux, il s’informe de ce qu’ils discutent et ceux-ci (qui ne le reconnaissent pas) sont étonnés/attristés qu’il n’ait pas entendu parler des récents événements, qui leur semblent connus de tous. Ils lui racontent ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth, en le présentant d’abord comme un prophète (et non le Christ, ce qui est conséquent avec le fait qu’ils n’ont pas encore compris la nécessité de sa mort suivie de sa résurrection – même s’ils ont entendu les propos, qu’ils qualifient d’étonnants, des femmes le matin). Puis, après que ceux-ci en aient fait le récit :
« Alors Jésus leur dit : Ah ! hommes sans intelligence ! Vous êtes bien lents à croire tout ce que les prophètes ont annoncé. Le Messie ne devait-il pas souffrir toutes ces choses avant d’entrer dans sa gloire ?
Alors, commençant par les livres de Moïse et parcourant tous ceux des prophètes, Jésus leur expliqua ce qui se rapportait à lui dans toutes les Écritures.
Entre-temps, ils arrivèrent près du village où ils se rendaient. Jésus sembla vouloir continuer sa route. Mais ils le retinrent avec une vive insistance en disant : Reste donc avec nous ; tu vois : le jour baisse et le soir approche.
Alors il entra dans la maison pour rester avec eux. Il se mit à table avec eux, prit le pain et, après avoir prononcé la prière de bénédiction, il le partagea et leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent… mais, déjà, il avait disparu. Et ils se dirent l’un l’autre : N’avons-nous pas senti comme un feu dans notre cœur pendant qu’il nous parlait en chemin et qu’il nous expliquait les Écritures ?
Ils se levèrent sur l’heure et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent les Onze réunis avec leurs compagnons.
Tous les accueillirent par ces paroles : Le Seigneur est réellement ressuscité, il s’est montré à Simon.
Alors les deux disciples racontèrent à leur tour ce qui était arrivé en chemin et comment ils avaient reconnu Jésus au moment où il avait partagé le pain. »
(Luc 24.25-35 ; traduction Bible du Semeur)
Notons au passage que dans cet épisode, Luc présente trois « ouvertures » qui sont reliées, et qui livrent en quelque sorte un résumé d’herméneutique biblique[2]. Au départ, les deux disciples n’avaient pas bien saisi que l’Ancien Testament a une orientation christotélique – qu’il pointe vers Christ. Ils ne l’avaient pas saisi, en même temps que les indices de ce type de lectures se trouvent objectivement dans l’Ancien Testament lui-même, sans quoi il aurait été injuste que Jésus leur dise « Ah ! hommes sans intelligence ! Vous êtes bien lents à croire tout ce que les prophètes ont annoncé. Le Messie ne devait-il pas[3] souffrir toutes ces choses avant d’entrer dans sa gloire ? » (Luc 24.25-26 ; traduction Bible du Semeur). C’est là l’essence du concept de mystère chez l’apôtre Paul : il y avait des indices objectifs dans l’Ancien Testament pointant vers Christ, vers une lecture christotélique de l’Ancien Testament, mais bien que ces indices sont objectivement là, personne ne les a véritablement vus et compris avant la mort/résurrection du Christ – il fallait en quelque sorte la résurrection pour que ce soit compris, pour que la « visibilité » de ces indices ressortent avec relief, même si c’était déjà là avant. Donc, au départ les deux disciples, comme leurs compatriotes, n’ont pas encore compris. Puis survient une première ouverture au verset 31 : « Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent… mais, déjà, il avait disparu » (Luc 24.31). Leurs yeux s’ouvrent, c’est-à-dire qu’ils « voient » alors l’identité de Jésus, ils le voient et le reconnaissent alors comme Seigneur et Messie/Christ/Oint. En découle une seconde ouverture : c’est l’ouverture des Écritures ; qu’ils saisissent alors, au verset 32 : « Et ils se dirent l’un à l’autre : N’avons-nous pas senti comme un feu dans notre cœur pendant qu’il nous parlait en chemin et qu’il nous expliquait les Écritures ? (Luc 24.32 ; « expliquait les Écritures » : en grec « expliquait » et « ouvrait », c’est le même mot). L’explication par Jésus de l’Ancien Testament, que les disciples connaissaient pourtant, a eu lieu un peu plus tôt sur la route. Mais ce n’est qu’après que leurs « yeux » se soient ouverts, qu’ils commencent à saisir. Et c’est alors une troisième ouverture intimement liée aux deux premières qui s’enclenche : s’ouvre l’intelligence – le renouvellement de l’intelligence – des disciples pour comprendre le sens des Écritures, c’est-à-dire dans leur cas de l’Ancien Testament[4].
Après cet épisode à la suite duquel les deux disciples sur le chemin d’Emmaüs ont rejoint (à Jérusalem) les Onze qui les accueillent en leur disant que Jésus est apparu à Pierre, Luc fait le récit d’une nouvelle apparition de Jésus. Pendant qu’ils sont tous réunis, Jésus se trouve tout d’un coup au milieu d’eux. Luc relate alors leur saisissement « de crainte et d’effroi, croyant voir un esprit » (Luc 24.37), et l’invitation de Jésus à le regarder et le toucher pour les rassurer, puisque, leur dit-il, « un esprit n’a ni chair ni os. Or, vous voyez bien que j’en ai. » (Luc 24.39). Jésus mange ensuite du poisson grillé, après qu’il leur ait demandé s’ils avaient à manger, et leur rappelle ce qu’il leur avait dit à propos de l’accomplissement des Écritures. Comme pour les deux disciples sur le chemin d’Emmaüs, ceux-ci n’avaient cependant pas compris. Et comme pour les deux disciples sur le chemin d’Emmaüs, mais cette fois pour tout un groupe d’apôtres et de disciples, Luc relate que « Là-dessus, il [Jésus] leur ouvrit l’intelligence pour qu’ils comprennent les Écritures » (Luc 24.45)[5]*. Plus tard[6], Jésus les conduit à environ un kilomètre de Jérusalem, aux environs de Béthanie (au mont des Oliviers), les bénit et fut enlevé/élevé au ciel. Ainsi se termine l’Évangile selon Luc, avec les éléments en place qui permettent de saisir que doit s’en suivre l’annonce de la Bonne Nouvelle à Jérusalem, puis à tous les peuples.
Prier pour que le Seigneur Jésus nous ouvre la compréhension des Écritures est une clé précieuse pour quiconque.
>>Voir aussi le billet sur la typologie<<<
>>>Voir aussi l’analyse typologique de la reprise du Psaume 118.22 en Actes 4.11<<<
NOTES :
[1] Rappelons que Luc, s’il s’attache à la véracité de ce qu’il rapporte, ne le fait cependant pas sous la forme d’une simple énumération chronologique. Par exemple, en Luc 24.34 on verra que Jésus est apparu à Pierre le même dimanche matin après qu’il se soit rendu au tombeau vide en Luc 24.12.
[2] À cet égard, notons simplement que plutôt que de se demander « ce que ferait Jésus à notre place », on peut aussi et tout autant se demander « comment Jésus lirait l’Ancien Testament à notre place ». Du moins, ce genre de question est loin d’être dépourvue d’intérêt lorsqu’il s’agit d’examiner l’interprétation de l’Ancien Testament dans le Nouveau Testament – et l’unité des Écritures qui s’y trouve, sans que la diversité ne soit écrasée non plus.
[3] Notons au passage que le « ne devait-il pas » en grec est un terme qui désigne, semble-t-il, le Plan de Dieu.
[4] Je m’appuie ici sur les indications présentées dans le cours Interprétation de l’Ancien Testament dans le Nouveau Testament (automne 2018, Faculté de Théologie Évangélique affiliée à l’Université Acadia, avec le Dr. Dominique Angers).
[5] Selon Roger Nicole « Dans le Nouveau Testament, il n’y a pas moins de 295 citations expresses de l’Ancien Testament qui occupent environ 352 versets du Nouveau et se rapportent à 278 versets de l’Ancien (certains d’entre eux à plusieurs reprises) : 94 tirés de la Torah, 99 des prophètes et 85 des Écrits, suivant la division classique du canon hébraïque. Si l’on inclut les allusions en plus des citations expresses, ces chiffres augmentent sensiblement : Toy énumère 613 exemples, Shire 1604, Dittmar 1640 et Huhn atteint le nombre extraordinaire de 4105, ce qui représente plus d’une réminiscence tous les deux versets! » Cf. Roger Nicole, « L’Ancien Testament dans le Nouveau », dans Fac-Réflexion no. 5, juillet 1987, page 21. | Voir aussi l’article sur l’Ancien Testament dans le Nouveau.
[6] Notons que malgré l’ambiguïté rédactionnelle de la fin de l’Évangile de Luc, où l’élévation est mentionnée que brièvement après l’apparition de Jésus aux apôtres le dimanche de la Pâque, il semble à lire le début des Actes que cette ascension/élévation de Jésus au mont des Oliviers n’a pas eu lieu le même jour (au dimanche de la Pâque), mais plutôt quarante jours plus tard.
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