Selon Roger Nicole :

« Dans le Nouveau Testament, il n’y a pas moins de 295 citations expresses de l’Ancien Testament qui occupent environ 352 versets du Nouveau et se rapportent à 278 versets de l’Ancien (certains d’entre eux à plusieurs reprises) : 94 tirés de la Torah, 99 des prophètes et 85 des Écrits, suivant la division classique du canon hébraïque. Si l’on inclut les allusions en plus des citations expresses, ces chiffres augmentent sensiblement : Toy énumère 613 exemples, Shire 1604, Dittmar 1640 et Huhn atteint le nombre extraordinaire de 4105, ce qui représente plus d’une réminiscence tous les deux versets! »[1].

Pour les uns, ce nombre considérable de reprises cohérentes qui s’étend sur des textes rédigés à des époques différentes et par des auteurs différents des livres constituant la Bible, est un témoignage supplémentaire (sans être une preuve formelle) d’émerveillement pour le Christ Jésus, vers lequel pointait l’Ancien Testament. D’ailleurs, certains se rappelleront que les premiers chrétiens proclamaient l’Évangile en faisant des prédications textuelles, avec les textes qui leur étaient disponibles à l’époque pour la prédication textuelle, c’est-à-dire ceux de l’Ancien Testament – et ce, tout en montrant l’orientation christotélique de ces livres – ajoutant ainsi un témoignage du plus en faveur des liens entre les deux Testaments. Mais d’autres cependant, sceptiques, se demanderont si ce n’est pas que des coïncidences, ou encore si ces reprises sont véritablement cohérentes. Or, en examinant comment les auteurs du Nouveau Testament eux-mêmes utilisent l’Ancien Testament, on peut voir qu’ils suivaient une même herméneutique biblique cohérente, n’ayant rien d’arbitraire et respectant le sens tout en tenant compte des contextes où ils puisent ces extraits, même si ce n’est pas toujours immédiatement visible au premier abord. Parmi les différents types des reprises de l’Ancien Testament dans le Nouveau Testament, il y a l’accomplissement typologique. Dans le présent article, nous présentons globalement cette notion de typologie.

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Note : une partie de cet article reprend une petite portion d’un travail réalisé à l’automne 2018 dans le cadre d’un cours d’Interprétation de l’Ancien Testament dans le Nouveau Testament, à la Faculté de Théologie Évangélique (à Montréal) affiliée à l’Université Acadia. Selon la formule habituelle, nous sommes évidemment responsables des erreurs ou omissions qui pourraient subsister dans ce texte.

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Qu’est-ce que la typologie ? La typologie n’est ni une allégorie[2] ni une simple analogie. Il y a dans la typologie l’idée de récurrence, de répétition, et l’idée de correspondance. En termes théologiques, la typologie a pour présupposée que Dieu est maître souverain de l’histoire et qu’Il agit notamment avec des schémas/modèles qui se répètent. Ainsi, les actions antérieures de Dieu anticipent ses actions ultérieures. Ce qui laisse entrevoir qu’il y a des correspondances entre des événements, avec à la fois des traits communs et des différences. Et ce, tout en ayant un parallèle ; l’anticipation étant liée à l’idée qu’il y a un déroulement linéaire de l’histoire (et non pas un déroulement cyclique de l’histoire). Cela fait en sorte que les dernières réalités éclipsent les réalités premières sur lesquelles elles se fondent : il y a bel et bien dépassement.[3]

 

À ce sujet, Graeme Goldsworthy écrit que

« La typologie repose sur l’idée selon laquelle la façon dont Dieu a parlé et agi dans l’Ancien Testament était une préparation et une anticipation de la parole et de l’acte définitif de Dieu en Christ. »[4]

Ailleurs, Goldsworthy écrit aussi que

« La typologie consiste à reconnaitre qu’au sein de l’Écriture, certains événements [[5]], certains personnages [[6]] ou certaines institutions [[7]] sont liés à d’autres événements, personnages ou institutions ultérieures. Le rapport est le suivant : les premiers annoncent les seconds ; les seconds accomplissent les premiers, ou les amènent à la perfection. »[8]

Dans une telle grille de lecture, ce que l’on appelle « type » est l’élément antérieur, alors que ce que l’on désigne « antitype » est l’accomplissement. D’ailleurs, notons que beaucoup peuvent faire les rapprochements typologiques, sans nécessairement connaitre le terme de typologie. Ainsi, note Don Carson :

« Les chrétiens qui lisent leur Bible méditent sur les rapports entre le règne de David et celui de Jésus,entre l’agneau pascal de l’exode et Jésus, le véritable Agneau pascal, entre Melchisédek et Jésus, entre le repos sabbatique et le repos que Jésus offre, entre le rôle du souverain sacrificateur et celui de Jésus, le grand souverain sacrificateur, entre le Temple de l’ancienne alliance dans lequel entraient les sacrificateurs et le Saint des saints céleste dans lequel Jésus est entré, et sur bien d’autres rapprochements encore. Pour ceux qui vivaient sous les dispositions de l’Ancienne Alliance, la fidélité à l’alliance signifiait l’adhésion aux institutions et aux rites institués par Dieu, même si, sur la grande échelle biblique, ces institutions et ces rites annonçaient quelque chose de meilleur. Au moyen de ces représentations, Dieu parlait de l’avenir. À partir du moment où le chrétien saisit cette vérité, une grande partie de la Bible prend une autre perspective. »[9]

 

Enfin, ajoutons deux présupposés supplémentaires à la typologie. Il y a :

  • le présupposé (1) que Jésus et les apôtres considéraient que l’Ancien Testament est l’Écriture sainte et la Parole de Dieu[10] ;
  • de même qu’il y a (2) le présupposé que l’aide du Saint-Esprit (avec le renouvellement de l’intelligence) est indispensable pour comprendre la manière dont Jésus et les apôtres lisent l’Ancien Testament.[11]

Ce dernier présupposé implique donc que le témoignage que rend objectivement l’Ancien Testament à Jésus le Christ, en indiquant que « tout » pointe vers lui, n’est reconnaissable qu’après coup, grâce à la foi en Christ suscitée par l’Esprit.  En d’autres termes, malgré tous les indices qu’il y a dans l’Ancien Testament, ça devient repérable/reconnaissable qu’après la mort-résurrection du Christ, grâce au Saint-Esprit qui enlève un voile des yeux. C’est du moins le sens du concept de mystère chez Paul : il y avait des indices objectifs dans l’Ancien Testament pointant vers Christ, vers une lecture christotélique de l’Ancien Testament, mais bien que ces indices sont objectivement là, personne ne les a véritablement vus et compris avant la mort/résurrection du Christ – il fallait en quelque sorte la résurrection pour que ce soit compris, pour que la « visibilité » de ces indices ressortent avec relief, même si c’était déjà là avant. De même que c’est aussi là l’indication herméneutique livrée notamment (mais pas seulement) avec l’apparition de Jésus aux disciples sur le chemin d’Emmaüs (Luc 24.13-35). Dit avec d’autres mots :

« En résumé, le quatrième évangile affirme que c’est seulement lorsque l’Écriture [l’Ancien Testament] est éclairée par le Saint-Esprit, c’est-à-dire lorsqu’elle est lue dans la perspective de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ, que l’Église peut y discerner le témoignage que Dieu y rend à son Fils. »[12]

On trouve aussi une affirmation allant dans la même direction, à propos de la relation entre l’Ancien Testament et la personne de Jésus, dans la lettre de Paul en 2 Corinthiens 3.14-18 :

« (14), Mais leur esprit est devenu incapable de comprendre : aujourd’hui encore, lorsqu’ils lisent le Livre de l’Ancienne Alliance, ce même voile demeure ; il ne leur est pas ôté, car c’est dans l’union avec Christ qu’il est levé. (15) Aussi, jusqu’à ce jour, toutes les fois que les Israélites lisent les écrits de Moïse, un voile leur couvre l’esprit. (16) Mais, comme le dit l’Écriture : 

Lorsque Moïse se tournait vers le Seigneur, il ôtait le voile

Le Seigneur dont parle le texte, c’est l’Esprit, et là où est l’Esprit du Seigneur, là règne la liberté. (18) Et nous tous qui, le visage découvert, contemplons, comme dans un miroir, la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en son image dans une gloire dont l’éclat ne cesse de grandir. C’est là l’œuvre du Seigneur, c’est-à-dire de l’Esprit. »

            (2 Corinthiens 3.14-18 ; traduction Semeur)

 

En gardant cet horizon à l’esprit, mentionnons finalement une énumération des fonctions de l’Ancien Testament selon le Nouveau Testament :

            « L’Ancien Testament peut être utilisé par le Nouveau Testament :

  1. pour signaler l’accomplissement d’une prédiction
  2. pour annoncer l’accomplissement futur d’une prédiction
  3. pour signaler un accomplissement typologique
  4. pour annoncer l’accomplissement futur d’un type
  5. pour indiquer, d’une manière générale, l’accomplissement de l’Ancien Testament dans son ensemble ou celui d’une partie importante de l’Ancien Testament
  6. pour rappeler une étape importante de l’histoire du salut (avec une visée théologique précise)
  7. pour souligner l’insuffisance de l’ancienne disposition et mettre en lumière la solution en Christ
  8. pour nourrir la réflexion sur l’interprétation et l’application de la Loi mosaïque
  9. pour développer à la lumière de l’Évangile (dans la perspective d’un aboutissement ultime) des concepts vétérotestamentaires récurrents (parfois symboliques)
  10. pour appliquer à Christ ce qui concerne Dieu/l’Éternel dans l’AT
  11. pour relever une situation ironique (ou un renversement) mise en lumière par l’Évangile
  12. pour signaler l’accomplissement d’une promesse valable à toute époque
  13. pour réaffirmer une réalité / un principe / un commandement qui reste valable
  14. pour fournir un exemple qui a une portée éthique
  15. pour établir une analogie avec la situation présente
  16. pour formuler de nouvelles réalités avec des mots, des catégories, des images, des symboles ou dans un style qui sont propres à l’AT (sans que la perspective d’un « aboutissement ultime » ne paraisse intervenir)
  17. pour présenter une position qui n’est pas celle de l’auteur du NT
  18. pour servir de modèle dans l’élaboration d’une structure littéraire substantielle dans le NT »[13]

 

>>>Voir aussi Une clé pour linterprétation des Écritures en Luc 24.13-16<<<

>>>Voir aussi l’analyse typologique de la reprise du Psaume 118.22 en Actes 4.11<<<

NOTES :

[1] Roger Nicole, « L’Ancien Testament dans le Nouveau », dans Fac-Réflexion no. 5, juillet 1987, page 21.

[2] La lecture allégorisante établie par l’interprète (sans être explicite dans le texte lui-même, ou sans s’appuyer sur des règles d’interprétation de la Bible elle-même) coure trop souvent le risque de tomber dans l’arbitraire subjectif – ou de détourner l’attention de l’écoute de ce qui est dit par l’Écriture. Cf. Graeme Goldsworthy, Le royaume révélé de l’Ancien Testament à l’Évangile, Charols, Éditions Excelsis, 2005, pages 9 à 11 (pour un exemple) et pages 15 à 22 (notamment sur les fausses pistes de la méthode médiévale d’interprétation allégorisante).

[3] L’ensemble de la synthèse sur la typologie contenue dans ce paragraphe s’appuie sur les notes prises dans le cours Interprétation de l’Ancien Testament dans le Nouveau Testament (automne 2018, Faculté de Théologie Évangélique affiliée à l’Université Acadia, avec le Dr. Dominique Angers). Comme les notes ont été prise en suivant le cours à distance avec la plateforme web de la Faculté, et comme la fonction « pause » a parfois été utilisée pour faciliter la prise de notes, il est possible (même probable) que certaines formulations de ce paragraphe soient assez près de certaines formulations orales dans le cours.

[4] Graeme Goldsworthy, « Le rapport entre l’Ancien et le Nouveau Testament », dans le Dictionnaire de théologie biblique, Charols, Éditions Excelsis, 2012 (2006), page 96.

[5] Par exemple la sortie d’Égypte du peuple israélite, où par typologie Jésus représente la sortie de l’esclavage du péché – c’est-à-dire la rédemption (le terme de rédemption appartenant au langage de l’esclavage). Ou encore, et ce d’autant que dans l’Ancien Testament le titre de jésus « Fils de Dieu » était appliqué à l’ensemble du peuple d’Israël, on peut penser aux 40 ans dans le désert du peuple d’Israël qui constitue un « type » dont on retrouve « l’antitype » (« revécu » cette fois de manière victorieuse) avec les 40 jours de Jésus dans le désert, tel que relaté en particulier en Matthieu 4.1-11 et en Luc 4.1-13.

[6] Par exemple Moïse ou encore le Roi David, où par typologie Jésus représente le prophète ultime.

[7] Par exemple les sacrifices, où par typologie Jésus représente le Sacrifice ultime – l’Agneau de Dieu.

[8] Graeme Goldsworthy, Christ au cœur de la prédication, Charols, Éditions Excelsis, 2005, page 109.

[9] Don Carson, Le Dieu qui se dévoile, volume 1, lecture du 4 mai 2018, consultation en ligne (le 3 décembre 2018), d’où est extrait la citation, à cette adresse : https://evangile21.thegospelcoalition.org/dieu-qui-se-devoil/nombres-11-psaumes-48-sae-1-hbreux-9/

[10] « For Jesus and his followers, what the OT said, God said; and what God said, the OT said. », selon les mots de G.K. Beale, Handbook on the New Testament Use of the Old Testament. Exegesis and Interpretation, Grands Rapids, Baker Academic, 2012, page 96.

[11] Cf. G.K. Beale, Handbook on the New Testament Use of the Old Testament. Exegesis and Interpretation, Grands Rapids, Baker Academic, 2012, pages 95 et 96.

[12] Samuel Amsler, L’Ancien Testament dans l’Église, Neuchatel, Éditions Delachaux & Niestlé, 1960, page 38.

[13] Syllabus du cours Interprétation de l’Ancien Testament dans le Nouveau Testament, Faculté de Théologie Évangélique affiliée à l’Université Acadia, avec le Dr. Dominique Angers, automne 2018, pages 6 et 7. || Voir aussi l’article «Une clé pour l’interprétation des Écritures en Luc 24.13-16».